Ridicule kills me
Il est grand temps d'avouer. Oui, souvent je me suis tus face à l'incongru, j'ai laissé le ridicule entrer, s'installer, prendre ses aises, faire son petit effet au lieu de le jeter dehors, le menacer, l'intimider à grands coups de " n'y remets plus les pieds ". Alors, oui, en ces années lycée, j'ai vu passer, à l'heure de pointe, dans la grande salle de cantine remplie de sarcasmes sur pattes prêts à bondir, la petite Emilie V., sa jupe coincée dans son collant suite à, je suppose, un passage au lieu dit "toilettes des filles". J'aurai du me lever, grande princesse, justicière pas masquée de la honte immérité, balayer les rires, sauver (in extremis) de la honte à tout jamais la jeune fille au collant pas galant.
Oui, je repense parfois à ce type que j'ai vu descendre du train avec, accroché à sa ceinture, un interminable bout de papier toilette manifestement déjà usagé. Je l'ai laissé partir sans mot dire. Une fois sorti de la gare, il s'est éloigné fièrement bien droit dans ses Nike dernière génération, la démarche décontractée savamment étudiée, sa grande traîne de papier toilette (usagé) flottant joyeusement au vent. Après, bien sûr, j'ai eu des regrets. Pas eu le cran d'aller lui signaler que son ego allait en prendre un coup, peur de vexer, comme une appréhension à lui faire remarquer la honte qu'il trimbalait tel un monarque outragé.
Je me souviens aussi, l'autre jour, ne pas m'être levée pour prévenir la grande femme au trench rose que ses talons aiguilles avaient eu la bonne idée d'inviter un vieux sac plastique troué. Là encore pas crainte de froisser la belle ainsi apprêtée.
J'ai compris : le ridicule ne tue pas, certes, mais moi il me paralyse. Devant la gêne, je perds tout sang froid. Je ne me moque même pas, je reste simplement là les bras ballants. Voir tomber un malheureux dans la rue m'a toujours un peu ému. Ainsi mis à nu, le masque de respectabilité brisé, éparpillé par terre en mille morceaux, le gars, bon client, choisit de rigoler, ou très vite se relève et évalue d'un coup d'il rapide le nombre de personnes qui garderont de lui l'image du type un peu gauche, celui qui a chuté, un de ces Grands Blonds du quotidien. Il presse alors le pas pour fuir ce moment de honte pas si vite passé.
Pourtant, moi, j'aime bien qu'un bon samaritain intervienne en ma faveur quand le glamour se barre et la bête se réveille. J'apprécie qu'on me fasse remarquer que j'ai gardé sur le visage un souvenir de la mousse au chocolat de midi, qu'on m'alerte de ma braguette ouverte, qu'on me prévienne du blush mal étalé tendance peinture de guerre. J'aime ses Saint Bernard du ridicule, celui qui vient au secours des crottes de nez voyantes, des auréoles intempestives, des tâches diverses, des mauvaises haleines, des lacets défaits, des étiquettes qui prennent l'air, de l'épis qui s'incruste, du mascara en paquet. Alors je remercie celle qui un jour m'a discrètement signalé la présence sous mon pull de mon joli pyjama à nounours délavés et je m'excuse auprès de celle a qui je n'ai osé avouer qu'elle avait un peu de persil coincé, là, juste entre les deux dents de devant. Pardon.
Bientôt, moi aussi, je partirai chasser le ridicule par des formules détournées. Prenez un chewing-gum Emile.
" Ecoute, tu es mon ami, c'est donc mon devoir de te dire que tu devrais mettre du déodorant "