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Mon sitcom
29 janvier 2006

Le vestimentaire ment

levetementment2

Une casquette de jockey à visière molle en toile cirée molletonnée couleur rose fuchsia égayée d’un Donald Duck frémissant du bec imprimé sur la partie avant. Voilà comment tout à commencé. C’est ce que je dirai, allongée sur un divan en velours ras couleur rouge sang (j’y tiens), une vue imprenable sur mes chaussures neuves, à ­- 50 ou ­- 30% je ne sais plus très bien, une affaire quoi. Il me faudrait me remémorer ce matin d’hiver douloureux, jour à marquer d’une casquette rose fuchsia, pendant monstrueux d’une course effrénée à l’accessoire, traumatisme vestimentaire orchestrée par ma propre mère, croyant "bien faire", commanditaire involontaire d’un acte de cruauté mentale à l’encontre d’une enfant de 5 ans. Elle récidivera quatre ans plus tard, en offrant à ma sœur, 4 ans, et moi depuis longtemps à l'âge de déraison, deux chapkas bordées de fourrure. Noire pour moi, blanche pour elle. Persuadées du fait que "l'hiver toutes les filles à la mode portent des chapkas"* (*bon sang, un peu de compassion, en 91 nous étions (encore) naïves et les ipod n’étaient pas (encore) assortis aux grenouillères), on nous voit sourire sur les photos, joyeusement inconscientes, deux apprenties fausses moscovites sacrifiées sur l'autel de la tendance. C’est moche. Trahies par les siens, parias de la mode, inscrites d’office sur la black list de la fashion police.

Parce que ceci entraîne cela, la simple évocation de cette casquette de jockey à visière molle en toile cirée molletonnée couleur rose fuchsia égayée d’un Donald Duck frémissant du bec imprimé sur la partie avant fera surgir de ma mémoire (habilement sélective) des souvenirs éprouvants, en vrac : mes pas dans la cour de récré munie de cette horreur sous les yeux des chefs du gang le plus puissant des  maternelles grande section, éclateurs chevronnés et sans pitié de coquilles d’escargots, arracheurs professionnels d’ailes d’abeilles, de coccinelles et, les jours fastes, de papillons. Des durs quoi, défiant l’autorité parentale, n’hésitant pas à couvrir leurs avant-bras de tattoos Dragon Ball Z dénichés au fond des paquets de Miel Pops. Pas le genre à se laisser imposer huit heures d'affilées une casquette de jockey à visière molle en toile cirée molletonnée couleur rose fuchsia égayée d’un Donald Duck frémissant du bec imprimé sur la partie avant. Vraiment pas. Pourquoi ne pas m’être débattue ? Pourquoi ne pas avoir hurlé à la faute de goût ? Oui, pourquoi avoir gardé cette monstruosité sur la tête sous l’œil goguenard de "la petite* Noisette", mon ennemie jurée en cette année 87 (*"Noisette" c'est son nom de famille et "petite" c’est à cause de sa taille, les gamins sont méchants c'est bien connu), jubilant à l’idée de me voir répudiée du club Barbie* ? (*j’étais inscrite, comme tout le monde, j’ai même reçu une lettre de menace déguisée lorsque j’ai décidé de quitter Silicon Valley). Parce que j’étais une enfant sage malgré quelques fréquentations pyromanes s’adonnant, par temps de pluie, à l’art du départ de feu, à l’abri des doubles foyers de Monique V., institutrice hystérique au postillon ravageur.

Les séances s’enchaîneraient, les escarpins, BO, vestes, manteaux, colliers également. La psychothérapie commencerait à porter ses fruits. J’établirai mentalement une chronologie, me souviendrai des dates et vêtements marquants, les affreux, classés "sorties de route". De la penderie entrouverte s’échapperaient alors des oripeaux oubliés, cadavres en acrylique étouffés à la va-vite dans des sacs plastiques.

1993, j’assiste à un cour de maths dans un cardigan à pressions vert sapin imprimé petits sapins, ça tombe bien. Ma voisine de table, Alexandra J., s'en souvient. 1994, la vague des caleçons stretch déformés aux genoux en fin de journée, "tip top" si portés avec des jambières, des Dr Martens et des pulls informes, fait une victime, moi et quelques millions d’autres brebis égarées dans les bas fond de l’élasthanne. Elle Mc Pherson est "the body", nous* (*j’insiste, je n’étais pas la seule dans cette galère) les boudins* (*je tiens à préciser que le stretch ne pardonne rien, absolument rien, même pas un petit genou presque pas tordu de rien du tout). La même année, on me voit débouler un matin de décembre affublée d’un collant à motifs nounours dont la matière reste encore à ce jour non identifiée. Je touche le fond de la piscine et dieu soit loué pas en pull marine. 1995, je m’amourache d’un duffle coat bleu pétrole en laine bouillie. Ma sœur, 7 ans, tente de me faire entendre raison. En vain. Déchaînée et sans repères, je le combine à des collants rouges. La situation devient explosive, ma mère laisse faire. 1996, je flash sur des chaussures à damier bicolore. Une Jessica me demande si je compte postuler au cirque Bouglione. Je pleure en rentrant chez moi, incomprise et les range à jamais dans leur carton. Jessica, je te hais. 1997, j’ai le coup de foudre pour un pull col V beige en mailles de coton  mal dégrossies couvrant les fesses juste comme il faut. En cours d'éducation physique et sportive, les filles se nouent des pulls autour de la taille pensant cacher cette monstruosité que l’on appelle fessiers. C’est la période "moins j’en montre, mieux je me porte". Tout est relatif. 1998, après une période passe-muraille (couleurs de prédilection : noir et gris foncé), je succombe au trip néo-baba retour de Goa suite à ma forte inclinaison pour un "vieux", un terminale, donnant dans les dreadlocks. Blouses en voile de coton brodé, jeans pat d’éph’, veste en velours côtelé d’étudiants chevelus et contestataires, mon rêve est d’acquérir aux fripes une veste crasseuse en cuir baignant dans son jus depuis les seventie’s. Ma mère, encore elle, fera échouer ce beau projet. 2000, la jupe se porte sur des collants résilles combinée à des baskets, Adidas Country réédition 70. "On aura tout vu", Catherine P., amie de ma mère. 2002, dernier dérapage vestimentaire en date. Sur un coup de tête je deviens propriétaire d’une espèce de robe/blouse rose assortie aux pointes de mes cheveux, période "on a des coupes de tifs merdiques et asymétriques". Vénus Beauté Institut est rediffusée sur TF1. "Vous faites aussi le maillot ?" s’enquiert un lundi matin une personne mal intentionnée. La robe rose rejoint les chaussures bicolores à l’étage des mal aimés trop vite jugés.

Je savoure ma madeleine de Proust, miettes de mauvais goût éparpillées ça et là. A ce stade, j’en serai à ma énième séance, plus très loin de la prise de conscience, en mesure d’expliquer pourquoi la vue chez un homme de chaussettes cartoon/T-shirt Superman ou Homer Simpson/"top" resserré aux manches/chemise en voile de coton vert pomme à boutons nacrés me plonge dans des abîmes de réflexion. Les apparences ne comptent pas, l’habit ne fait pas le moine et la chemisette ne fait pas l’homme. Je sais tout cela, je suis d’accord et pourtant. Mais désormais j’ai une excuse, alibi psychologique et traumatique. Trop vu d’horreurs pendant la guerre. Ma guerre, contre moi-même.

"j'ai toujours aimé les chaussettes rouges et jaunes à petits pois"

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Commentaires
L
coin> tous en blouses éksasaute! (tentative de charabia texto)<br /> kmlz> ici on aime les raccourcis (et les costards taillés à coups de serpe)<br /> pc> merci beaucoup<br /> cynic> je cultive mon côté "dark" (mais à l'intérieur de mon moi profond (et torturé))<br /> alicepattes> Le fuseau! Mais oui j'avais oublié mon fuseau vert (bleu ciel moi je dis respect). Ce fuseau était porté avec des mocassins kaki moche(paix à son âme and peace for fashion people)<br /> antoine> merci, merci, merci...
A
Tes histoires sont rigolottes, on dirait un peu du Pérec. J'aime bcp tes photos, belle science de la mise en scène.
A
Toujours un régal de te lire même si je ne peux que verser une larme en réalisant le traumatisme subi. Et quel traumatisme. Moi j'ai au droit au fuseau bleu ciel à l'époque où Sandra chantait "maria magdalena". Nostalgie quand tu nous tiens...
C
Ah là là, l'horreur ces fringues. Et t'as survécu comment ? On ne t'avais pas dit que le noir allait avec tout ? Maintenant c'est trop tard : on te prendrait pour une gothique.
P
c'est simplement exellent...j'me dépèche de lire les autres articles. Merci ;)
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